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samedi 2 août 2014

Petite histoire de la phytosocio

L'objectif de cet article est de retracer l'histoire de la phytosociologie : ces principales étapes, les auteurs y ayant contribué et l'évolution des conceptions qu'elle a engendré.

Dans un second temps, je propose une chronologie des principaux synsystèmes européens (complétée au fur et à mesure de mes "découvertes").

L'idée première était de faire une recherche sur l'évolution des concepts syntaxinomiques que nous utilisons aujourd'hui. En d'autre termes : comment a évoluer la conception des syntaxons, notamment ceux de rang supérieur tels que les classes, ordres et alliances. Mais il me manquait la connaissance des bases historiques pour pouvoir appréhender correctement ces entités. C'est la raison pour laquelle cet article - qui a vocation à être complété par la suite, se trouve encore à l'état d'ébauche.

Tout commentaire, complément ou critique sont les bienvenus.

Les étapes ayant permis la construction de la définition d'une unité de base pour l'étude de la végétation

L'apparition du terme d'association végétale et l'évolution du concept l'accompagnant

La phytosociologie n'est pas surgie de nulle part et son origine se trouve dans les travaux des géographes et en particuliers des phytogéographes du XIXe siècle. Le premier - selon Charles Flahault (1), à avoir parlé d'associations végétales a sans doute été Alexandre de HUMBOLT dans son "Essai sur la géographie des plantes" de 1807.

À la manière dont de HUMBOLT parle des "associations" de plantes, on note la différence de concept que ce terme englobait alors, par rapport à la définition que nous utilisons actuellement. À l'époque, ce mot faisait référence à de grands types de végétation : les formations, en se basant sur la physionomie que leur conféraient les espèces dominantes (les plus "sociales"). C'est ce que WHITTAKER (1978)  qualifie d'approche physionomique, approche qui a été développée par A.P. de CANDOLLE (1820) et A. GRISEBACH (1838, 1872), etc. Cependant de Humbolt explique que les associations correspondent à certains types de formation, caractérisés par des conditions écologiques données (cf. FLAHAULT, 1900).

Depuis la fin du XIXe siècle et jusqu'au début du XXe et les travaux de Braun-Blanquet, le concept d'association végétale a fait l'objet de nombreuses discussions - parfois fort houleuses - entre les phytogéographes d'alors.

En 1900 Charles FLAHAULT propose, lors du congrès international de botanique à Paris, un "Projet de nomenclature phytogéographique" et y défini l'association végétale en soulignant l'importance des rapports stratégiques entre les plantes, rejetant par là-même l'idée d'une simple juxtaposition des plantes qui serait due au hasard.
L'association végétale est la dernière expression de la concurrence vitale et de l'adaptation au milieu dans le groupement des espèces. Les habitants d'une même station ne sont pas seulement rattachés les uns aux autres par de simples relations de coexistence, mais encore par un lien d'intérêt réciproque, certains d'entre eux au moins trouvant avantage et profit dans les conditions déterminées par la présence des autres.

Cependant, sa vision de l'association végétale reste dans la lignée de celle de de Humbolt : elle provenait de l'approche physionomique décrivant les formations végétales (forêts, prairies, tourbières, etc.).

En 1910, C.E. MOSS publie une communication dense et assez imbuvable, mais qui porte un éclairage très intéressant sur les conceptions phytogéographiques de l'époque : The fundamental units of vegetation (2). Il s'agit d'une révision assez large de l'usage des termes "association" et "formation" en phytogéographie. Moss en retient que le terme "association" devrait être utiliser pour se référer à une unité de végétation caractérisée par une espèce dominante ou "sociale", alors qu'il semble considérer le terme "formation" comme en quelques sortes, synonyme d' "habitat". De plus il semble établir un lien de hiérarchie entre les deux termes : la formation étant considérée comme une unité supérieure englobant plusieurs associations proches. Il convient de préciser qu'à cette époque, la notion de syntaxon ne semble pas encore établie et les unités supérieures que nous sommes aujourd'hui habitués à manipuler n'avaient pas encore été proposées. Je crois donc que la "formation" correspondait pour Moss à ce que nous qualifierions aujourd'hui d'alliance. Bien qu'une certaine confusion existât encore avec la notion plus purement physionomique de la formation (forêt, prairie, etc.).

La même année, lors du IIIe congrès international de Bruxelles, FLAHAULT et SCHRÖTER donnent la définition de l'association que J. Braun-Blanquet reprendra dès 1913 :
L'association définie "est un groupement végétal de composition floristique déterminé, présentant une physionomie uniforme, croissant dans des conditions stationnelles uniformes".
En  1913, Josias Braun et E. Furrer  Remarques sur l'étude des groupements de plantes. Bull. Soc. Languedoc. Géogr. 36, 1913. complètent cette définition en y ajoutant "..., et possédant une ou plusieurs espèces caractéristiques."
Dès cette publication, Braun-Blanquet met en garde contre l'utilisation des espèces dominantes pour caractériser les associations, expliquant que celles-ci sont souvent ubiquistes (comprendre : elles ont une large amplitude écologique et s'accomodent dans de nombreux milieux différents). Il donne même des exemple de mêmes plantes dominant dans des associations très distinctes. Cela lui permet de souligner l'importance des espèces caractéristiques.

1915 : la thèse de J. Braun sur la végétation du massif de l'Aigoual (Les Cévennes méridionales) semble souvent considérée comme la publication fondatrice de la phytosociologie. Je retiendrais personnellement plutôt sa communication de 1913 publiée avec E. Furrer ou encore celle de 1921 qui sont toutes les deux plus didactiques, alors que "Les Cévennes méridionales" est purement descriptif. Sa thèse décrit 16 groupes d'associations, 29 associations et 5 sous-associations. Ces chiffres sont à mettre en perspective des 76 classes de végétation retenues par le PVF1 (Bardat et al. 2004) comprenant plusieurs centaines d'alliances (~ groupes d'associations) et plusieurs milliers d'associations.

1921 : J. Braun-Blanquet (qui a accroché le nom de son épouse au sien) publie "Principes d'une systématique des communautés végétales sur une base floristique" (en version originale : Prinzipien einer Systematik der Pflanzengesellschaften auf floristischer Grundlage.) qui est bien plus didactique que sa thèse de 1915, même si la lecture en est plus ardue.

L'année suivante, en 1922, il publie avec Jaques Pavillard, professeur de botanique à Montpellier, la première édition d'un petit "Vocabulaire de sociologie végétale" en français, livret indépendant de 16 p. L'ouvrage connaîtra un grand succès et deux autres éditions en 1925 et 1928.
Il y redonne la définition de l'association :
L'association végétale, conception abstraite, comme l'espèce, est représentée, comme elle, par des "individus" d'association. Sans être identiques, ces "individus" possèdent normalement un certain nombre de caractères commun permettant de les considérer comme appartenant au même groupement. Ces caractères peuvent, d'ailleurs, être de nature diverse, floristique, écologique, génétique, chorologique.
(...)
L'association est l'unité sociologique fondamentale. [Elle] se reconnaît floristiquement par son ensemble spécifique et principalement par ses espèces caractéristiques.

1928 est également l'année de publication de la première édition du fameux Pflanzensoziologie (= "Phytosociologie" en allemand), de Braun-Blanquet, qui sera traduit en anglais en 1932, réédité en allemand en 1951 et à nouveau en 1964. Cette dernière édition est fréquemment citée à titre d'affiliation méthodologique. Elle a été traduite en espagnol en 1979, mais jamais en français.

Comme ouvrage francophone, on trouve les "Eléments de sociologie végétale (Phytosociologie)" de J. Pavillard, publié en 1935.

En 1954 l'institut zurichois de géobotanique dédie le numéro 28 de ses Veröffentlichungen au thème "Problèmes actuelles de la phytosociologie". On y trouve entre autre, un article en français de M. Guinochet. Celui-là même qui publiera (entre autres) en 1955 un ouvrage intitulé "Logique et dynamique du peuplement végétal", puis en 1973 un "Phytosociologie", tous les deux des références importantes dans le champ qui nous occupe.

Bibliographie utilisée :
(1) FLAHAULT, Ch., 1900.  Projet de nomenclature phytogéographique. Actes du Congr. Int. Bot., repris dans Bol. Soc. Broter. 18, 1901-1902.
(2) MOSS, C.E., 1910. The fundamental units of vegetation. New Phytologist, vol. 9, issue 1-2, pp. 18-53.
HUMBOLT, A. de., 1807. Essai sur la géographie des plantes. 155 p.
WHITTAKER, R.H., 1978. Approaches to classifying vegetation. in WHITTAKER, R.H. 1980. Classification of plant communities. Handbook of Vegetation Science, vol. 2. 408 p.


Comment nommer les unités de végétation ?

En 1822, J. F. Schouw publie un "Fondamentaux de phytogéographie générale" (en version originale danoise : Grundtraek til en almindelig plantegeografie, traduction allemande en 1823).
Je n'ai pas lu l'ouvrage de Schouw, mais je tenais à le citer car C.E. Moss (1910) y fait référence (p. 21) en tant qu'inventeur de l'adjonction du suffixe latin "-etum" au nom de genre de l'espèce dominante pour nommer les associations végétales.
Nous faisons la même chose en français en utilisant le suffixe "-aie" : du chên-e (lat. : Querc-us) nous faisons la chên-aie (lat. : Querc-etum).

Plus loin dans le même ouvrage (p. 41), Moss explique que ce procédé pose problème car en procédant de cette manière (c'est à dire en se limitant au nom de genre), il est impossible de savoir si l'objet appelé "Quercetum" se réfère à une chênaie de chênes pédonculés (Quercetum de Quercus robur) ou à une chênaie de chênes verts (Quercetum de Quercus ilex). Or ces deux types de végétations sont fondamentalement distincts : le premier correspond à la forêt de l'Europe moyenne alors que le second correspond à la forêt de l'Europe méditerranéenne. Il attribue à A.K. Cajander (1903 : 23) l'idée d'apporter la précision nécessaire dans la dénomination latine en indiquant l'espèce à laquelle il est fait référence.
 Si aujourd'hui cette manière de procéder peut nous apparaître presque évidente, il faut se replacer dans le contexte de l'époque, quand la définition actuelle de l'association végétale n'avait pas encore été énoncée et que toute la méthodologie de l'étude de la végétation était en pleine construction.

Du fait des particularités de la grammaire latine il faut décliner (en quelques sortes, accorder) le nom de l'espèce (par exemple le Chêne vert) pour indiquer que le nom de la formation (ici la chênaie) se réfère à cette espèce précise. En effet il n'existe pas de mot de liaison en latin, comme c'est le cas en français avec l'utilisation de mots tels que "de" ou "à", par exemple :  "forêt de chênes verts" ou "chênaie de chênes verts", à la place on utilise une déclinaison (au génitif). Pour reprendre l'exemple de Moss : une formation à joncs se dit "jonchaie" en français et "juncetum" en latin. Une jonchaie à joncs diffus (Juncus effusus) se dit "Juncetum Junci effusi" en latin, terme que l'on abrège en "Juncetum effusi", exactement de la même manière qu'en français une chênaie de chênes verts devient une chênaie verte.
Voilà l'origine des dénominations latines des types de végétation. C'est ce modèle qui a été conservé pour nommer les associations végétales. J. Braun-Blanquet le valide dès 1913 dans ses "Remarques sur l'étude des groupements de plantes" (Braun & Furrer, 1913. Bull. Soc. Languedoc. Géo.)

Concernant la dénomination des syntaxons d'autres niveaux, il convient d'ajouter quelques éléments.
En 1902, F.E. Clements proposes d'utiliser des termes grecs auxquels il appose le suffixe -ium afin de nommer des grands types de milieux naturels (auxquels C.E. Moss se réfère en parlant de "formations"), tels que les falaises, les déserts ou les marécages. Mais l'usage de ce suffixe -ium aurait conduit à des confusions avec les formes neutres des noms latin de plantes (se terminant en -um). Afin d'éviter ce problème, C.E. Moss propose donc d'employer à la place le suffixe -ion dont il indique qu'il est obsolète en taxonomie. Il propose donc l'utilisation de termes tels que Cremnion (κρημνός) pour parler des formations de falaises, Eremnion (ἒρημος) pour les déserts ou encore Oxodion (οξωδης) pour les marécages.
Ces termes sont précisés en ajoutant les noms de genre des espèces dominantes dans les associations constituant la formation considérée. En reprenant les exemples de C.E. Moss, les marécages étant principalement constitués (selon les standards de l'époque et pour l'auteur) des associations à Eriophorum vaginatum (une Linaigrette) et Scirpus cespitosus, il appelle donc la formation des marécages un "Eriophorum-Scirpus-Oxodion" et formule la même remarque d'imprécision que précédemment à propos des associations. Il remanie la formulation selon la méthode proposée par A.K. Cajander, ce qui donne "Oxodion Eriophoreti-vaginati".
C'est sans doute en 1912 que Brockmann et Rübel proposèrent d'appliquer le suffixe -ion directement au nom de genre de l'espèce considérée, suivis en 1921 par J. Braun-Blanquet qui utilisera ce procédé pour nommer ses "groupes d'associations" et introduira le mot "alliance" (Verband en allemand).
C'est ensuite, au moins depuis 1928, dans le "Vocabulaire de sociologie végétale" que seront proposés les rangs d'ordre avec la terminaison -etalia, de classe avec la terminaison -etea et de sous-association avec la terminaison -etosum.



Chronologie des principales publications de synsystèmes

Liste des publications proposant des synsystèmes, c'est-à-dire, des systèmes hiérarchisés de classification de la végétation. Ces publications, bien que fréquemment incomplètes, portent une vision globale sur l'ensemble (ou au moins une grande partie) des unités de végétation et ne se limitent pas à un seul grand type de végétation, à une seule classe, ou à une ou quelques unités inférieurs éparses.

Ces synsystèmes sont régulièrement complétés, amendés et corrigés par des publications ne s'intéressant au contraire qu'à une ou quelques unités de végétation de rang quelconque (syntaxons), jusqu'à ce qu'une autre publication de synsystème - intégrant ces compléments et corrections, et généralement en en proposant également quelques unes - vienne proposer une nouvelle vision d'ensemble.

- BRAUN-BLANQUET, J. et al. (1933-1940) Prodrome des groupements végétaux. Comité international du Prodrome phytosociologique, Montpellier (7 fascicules).

- OBERDORFER, E. et al. (1957) Süddeutsche Pflanzengesellschaften (1. Auflage). Gustav Fischer Verlag, Jena [2. Aufl. 1977-1992 ; 3. Aufl. 1993]
- JULVE, Ph. (1993) Synopsis phytosociologique de la France (communautés de plantes vasculaires). Lejeunia, N.S., 140 : 160 p.

- POTT, R. et al. (1995) Die Pflanzengesellschaften Deutschlands. 2. Auflage, Ulmer Verlag, 622p.

- DIERSCHKE, H. et al. (1996-2012) Synopsis der Pflanzengesellschaften Deutschlands. Floristisch-soziologische Arbeitsgemeinschaft e.V.

- BIONDI, E., et al. (1997). Lista delle unità sintassonomiche
della vegetazione italiana. Fitosociologia 32: 1-227.
- RODWELL et al. (2002) The Diversity of European Vegetation. National Ref. Centre Agric. Nat. Fish., MANMF, UK. [NB : ne cite pas les auteurs des syntaxons rassemblé ...!]
- BARDAT, J. et al. (2004) Prodrome des végétations de France jusqu'au niveau de l'alliance. MNHN, Paris.
- CHYTRY, M. et al. (2007-2013) Vegetation of the Czech Republic. 4 volumes

- FOUCAULT, B. de, et al (2008-2014) Contributions au prodrome des végétations de France. J. Bot. Soc. Bot. Fr. [plusieurs numéros]

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