Avertissement :
Cet article n'est que le reflet d'une réflexion en cours. Je souhaite encore l'étayer d'avantage (notamment en lisant Gams, 1918, et Braun-Blanquet, 1964). Si vous y décelez des incohérences ou estimez que certains aspects ou arguments sont ignorés, n'hésitez pas à me le faire savoir via les commentaires. Toute remarque sera prise en considération.
En 1921 Josias Braun-Blanquet publie un article (en allemand) intitulé Principes d'une systématique des communautés végétales sur une base floristique.
En même temps qu'il explique ses éléments de méthodologie, Josias tente de réfuter la méthode de Helmut Gams (1), publiée trois ans plus tôt en 1918 dans sa thèse, et dans laquelle ce dernier défend une approche synusiale comme base de la classification de la végétation.
Dans son article, Braun-Blanquet, commence par proposer que la base de la classification des végétations puisse être ou bien écologique et physionomique (c'est-à-dire : synusiale dans le sens où il l'entend à l'époque) ou bien floristique (l'approche qu'il défend lui-même).
Mais il rejette l'idée d'un système hybride qui, selbstverständlich, ne formerait pas une base sérieuse, sans toutefois expliquer pourquoi ce ne serait pas "sérieux", et en appelle simplement au sens commun de ses collègues ("selbstverständlich" : qui se comprend par soi-même). Il rejette ensuite l'approche écologique et physionomique (qui, prise seule sans contenu floristique, ne présente effectivement pas les qualités nécessaires pour servir de base à une classification.
Sans chercher à valider absolument les idées de Gams (que je n'ai malheureusement pas encore pris le temps de lire, mais c'est sur ma table de chevet) et sans méconnaître les évolutions que les deux écoles (aussi bien sigmastiste que synusiale) ont connues depuis 1921, je ne peux m'empêcher de trouver la justification de l'approche "purement floristique" de l'école sigmatiste bancale. Mais peut-être est-ce parce que je l'ai mal comprise ?
Pour moi l'approche sigmatiste se base sur deux postulats :
- le relevé de végétation doit se faire sur une surface homogène d'un point de vue floristique
- le relevé recherche l'exhaustivité de la composition floristique
Si je comprends bien, la synusie comme base de la systématique des végétation est rejetée par l'école sigmatiste au prétexte que l'ensemble des plantes croissant en un lieu donné doit être utilisé pour former le relevé et par suite les unités de végétation (par comparaison floristique de plusieurs relevés).
Or en parlant de l' "ensemble" des plantes, les phytosociologues sigmatistes entendent l'ensemble des plantes croissant dans un même substrat (en général le sol*).
L'exclusion de facto des autres groupes (bryophytes corticoles et saxicoles, algues, fonge, lichens, plantes vasculaires épiphytes) - groupes largement taxinomiques - est généralement justifiée par deux arguments totalement contradictoires avec les principes posés précédemment :
- un argument écologique : les espèces épiphytes, les corticoles et les saxicoles ne poussent pas sur le même substrat (le sol) que le reste des plantes relevées,
- et un argument pratique : soit par le nombre (très réduit) des botanistes compétents sur ces groupes taxonomiques particuliers (bryophytes, algues, fonge, lichens), soit pour des raisons matérielles et de manque de temps.
L'argument écologique fait voler en éclats la base floristique chère à Br-Bl, et l'argument pratique conduit à ravaler l'exigence d'exhaustivité.
Si donc on exclue certaines espèces sur la base de leur écologie différente, pourquoi ne pas aller au bout de cette logique et distinguer des groupes écologiques sinon uniformes, du moins rassemblant des espèces ayant des exigences proches, tel que le suggèrent Gillet, de Foucault et Julve dans leur proposition pour une approche synusiale intégrée de la phytosociologie ?
D'ailleurs les phytosociologues sigmatistes n'en sont pas à une contradiction près :
- Tüxen a créé les Convolvuletalia pour rassembler des associations de voiles lianescents recouvrant le reste de la végétation,
- dans les végétations aquatiques Koch et Tüxen distinguent les végétations flottantes (Lemnetea) des végétations enracinées au fond de l'eau,
- Oberdorfer distingue différentes associations se succédant au cours de l'année dans un même champ cultivé.
(Exemples tirés de Barkman).
On peut encore rappeler la distinction faite dans les tourbières entre les communautés des buttes et celles des dépressions.
L'exigence d'homogénéité floristique pure est bien fallacieuse face à une pratique qui repose largement - et de manière flagrante - sur des considérations d'échelle et d'écologie.
Note : À la naissance de la phytosociologie, ses premiers promoteurs (et notamment Schröter, Flahault, Braun-Blanquet) ont dû s'affranchir de la vision physionomique préalablement prédominante. Il est donc compréhensible qu'ils aient pu s'ériger contre ce qui pouvait leur apparaître comme un "retour en arrière", et donc qu'ils aient refusé de baser leur système sur la synusie, puisque celle-ci est identifiée par une "lecture" d'abord physionomique puis écologique de la végétation.
J'en reviens à ma question : pourquoi ne pas aller au bout de cette logique écologique ?
La base floristique défendue par Braun-Blanquet en 1921 l'a été en rejettant d'emblée l'idée que cette approche pourrait être couplée à des considérations écologiques et physionomiques. Le chemin parcouru jusqu'à présent a largement contredit ce postulat.
(1) Braun-Blanquet publie sa thèse sur les végétations des Cévennes en 1915, celle de Gams est publiée en 1918. J'imagine donc qu'il devait y avoir une concurrence sans doute forte entre les deux ?
Bibliographie :
Barkman, J.J. (1980) Synusial approaches to classification. in : Whittaker, R.H. (1980) Classification of plant communities. Junk bv. publishers, La Hague. 408p.
Braun-Blanquet, J. (1921) Prinzipien einer Systematik der Pflanzengesellschaften auf floristischer Grundlage. Jahrbuch der St. Gallischen Naturwissenschaftlichen Gesellschaft. 57. Bd. II. Tl. pp 305-351. Vereinsjahre 1920-1921.
Gams, H. (1918) Prinzipienfragen der Vegetationsforschung. Vierteljahrschr. Nat. Ges. in Zürich, 63.
Gillet, F., Foucault (de), B. & Julve, Ph. (1991) La phytosociologie synusiale intégrée : objets et concepts. Candollea, 46: 315-340.
P.S. : J'en viens à me demander si le problème n'est pas entre autre dû au fait que au moins certains "sigmatistes" poursuivent éventuellement deux objectifs avec un seul et même outil (la syntaxinomie) :
- décrire des unités de végétations
- pouvoir ensuite cartographier une surface de végétation donnée sous un nom unique.
2 commentaires:
Lisez les travaux de Lecompte, Alexandre et Génin
Je suppose que vous faites référence à cet ouvrage :
Seuils biologiques, révolutions floristiques et limites climatiques
http://books.openedition.org/pufr/2361
?
En tout cas j'y jetterai un oeil, merci.
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